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Que c’est pour elle, et non pour eux qu’elle travaille ;
Que son grand œil d’azur leur sourit sans regard ;
Que l’homme dans ses bras meurt sans qu’elle en tressaille,
Né de père inconnu dans un lit de hasard.

Il ressemble à l’enfant que personne n’avoue,
Et qui, d’âge à scruter les lois dont il pâtit,
Cherche et souffre, accablé des voiles qu’il secoue
Et qu’il ne sentait pas quand il était petit ;

Et comme l’orphelin s’adresse à la justice,
Dès qu’il n’espère plus tenir de la bonté
Un tissu qui le vête, un blé qui le nourrisse,
Tous les dons sur lesquels il avait trop compté,

Depuis qu’il a senti faillir la Providence
Aux saintes missions que lui prêtait la foi,
Ailleurs que chez les dieux il cherche une prudence,
A défaut d’une grâce, une équitable loi.

Un trouble tout nouveau le remue ; il s’écrie :
« Ô ma Muse, ma Muse, à quoi donc songeons-nous ?
Ne décorons-nous point du nom de rêverie
Des ivresses, des deuils et des oublis de fous ?

« Pour moi, je ne veux plus répandre à l’aventure
Ma louange et mon blâme, et j’en aurai souci !
Je veux moi-même enfin, je veux à la Nature
Réclamer la justice et la lui rendre aussi !