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Comment prier, pendant qu’un profane astronome
Mesure, pèse et suit les mondes radieux ?
On l’entend qui les compte, et sans terreur les nomme
Des grands noms que portaient d’inoubliables dieux.

Nos yeux qu’au ciel déchu son doigt hautain dirige,
Y voient par la raison tout l’azur balayé,
Phoebus banni lui-même, et le fougueux quadrige
Qui promenait sa gloire, à jamais enrayé.

Comment rêver, pendant qu’à d’effrayants ouvrages
L’adroit physicien s’évertue ? On l’entend
Qui fait grincer la lime et, chasseur des orages,
Aiguise et dresse en l’air le piège qu’il leur tend ;

On voit, au poing du dieu qui faisait le tonnerre,
Les foudres défaillir en servage réduits :
Ce vainqueur des Titans, devenu débonnaire,
Devant un fer de lance abdique au fond d’un puits.

Comment chanter, pendant qu’un obstiné chimiste
Souffle le feu, penché sur son œuvre incertain,
Et suit d’un œil fiévreux un atome à la piste,
De la cornue au four, du four au serpentin ?

Dans les combats légers de l’air avec la feuille
Il nous fait voir un gaz attaquant du charbon ;
La fleur même pour nous, depuis qu’il en recueille
L’âme sous l’alambic, ne sent plus aussi bon.