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le zénith.

Résolu d’un regard l’empyrée en poussières,
Et chassé le troupeau des idoles grossières
Sous le grand fouet d’éclairs que brandit la Raison.

Nous savons que le mur de la prison recule,
Que le pied peut franchir les colonnes d’Hercule,
Mais qu’en les franchissant il y revient bientôt ;
Que la mer s’arrondit sous la course des voiles ;
Qu’en trouant les enfers on revoit des étoiles ;
Qu’en l’univers tout tombe, et qu’ainsi rien n’est haut.

Nous savons que la terre est sans piliers ni dôme,
Que l’infini l’égale au plus chétif atome ;
Que l’espace est un vide ouvert de tous côtés,
Abîme où l’on surgit sans voir par où l’on entre,
Dont nous fuit la limite et dont nous suit le centre,
Habitacle de tout, sans laideurs ni beautés ;

Que l’homme, fier néant, n’est qu’un des parasites
D’une sphère oubliée entre les plus petites,
Parasite à son tour des crins d’or du soleil ;
Qu’à peine pesons-nous aux balances du gouffre.
Et que le plus haut cri de notre chair qui souffre
S’y perd comme un vain songe au fond d’un noir sommeil.