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les destins


Contre les anciens dieux l’âme humaine aguerrie
N’attend certes plus d’eux ni fléaux ni bienfaits,
Mais n’est-ce pas un reste obscur d’idolâtrie
De maudire ou bénir des sorts bons ou mauvais ?

Les deux contraires voix qui partout se répondent
Trouvent leur unisson. Muse, entends s’élever
Du fond des choses l’hymne où ces voix se confondent,
Écoute la Nature et cesse de rêver !

La Nature nous dit : « Je suis la Raison même,
Et je ferme l’oreille aux souhaits insensés ;
L’univers, sachez-le, qu’on l’exècre ou qu’on l’aime,
Cache un accord profond des destins balancés.

« Il poursuit une fin que son passé renferme,
Qui recule toujours sans lui jamais faillir ;
N’ayant pas d’origine et n’ayant pas de terme,
Il n’a pas été jeune et ne peut pas vieillir.

« Il s’accomplit tout seul, artiste, œuvre et modèle ;
Ni petit, ni mauvais, il n’est ni grand, ni bon,
Car sa taille n’a pas de mesure hors d’elle,
Et sa nécessité ne comporte aucun don.