Page:Sully Prudhomme - Œuvres, Poésies 1872-1878.djvu/237

Cette page a été validée par deux contributeurs.
225
les destins

Amphore vide offerte à la soif du désir,
Forme qui règne avant de se laisser choisir,
La Beauté, reniant ses promesses divines,
Comme une neige au feu, fondra sur les poitrines.
La Vérité, trop près ou trop loin du regard,
Tantôt comme un soleil, tantôt comme un brouillard,
Éblouira la vue ou l’offusquera d’ombre ;
L’infinité du temps, de l’espace et du nombre,
D’une évidence absurde effraira le cerveau.
Je nouerai la science, ainsi qu’un écheveau
Emmêlé dans les doigts d’une aïeule qui tremble,
Et dont mille marmots tirent les bouts ensemble.
Carrefour encombre d’aveugles sans bâtons,
La liberté sera l’ignorance à tâtons.
Oui, que l’homme choisisse et marche en proie au doute,
Créateur de ses pas et non point de sa route,
Artisan de son crime et non de son penchant,
Coupable, étant mauvais, d’avoir été méchant,
Cause inintelligible et vaine, condamnée
À vouloir pour trahir sa propre destinée,
Et pour qu’ayant créé son but et ses efforts
Ce dieu puisse être indigne et rongé de remords.

« Allons ! Mon œuvre ainsi n’est-elle pas complète ?