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les destins

Et pour des millions d’esclaves un despote
Qui les mène tuer et qui les numérote.
Parfois même, à propos, évinçons les tyrans,
Et crions : Liberté ! Peuples, rompez les rangs ;
Aux armes ! Et soudain, comme on voit l’eau croupie,
Dont on trouble la bourbe avec ordre assoupie,
Brusquement mélanger ses patients dépôts,
Et, redoublant la nuit qu’amassait son repos,
Noyer ses floraisons avec sa moisissure,
Ainsi l’humanité, sous le calme qu’assure
L’habitude énervante et souple de servir,
Sentira la justice indomptable sévir,
Et mêler brusquement du fond à la surface,
Comme deux sœurs, la lèpre et la fleur de la race.

« Surtout civilisons : que les hommes entre eux
Soient convives forcés sans être généreux ;
Qu’avec des faims de bête et des paresses d’ange,
Pauvre, et si mal doué qu’il ait besoin d’échange,
Chacun rôde, envieux, autour du bien d’autrui,
En épiant toujours ce qui n’est pas à lui ;
Que For, entremetteur de toutes convoitises,
Du génie et du sang fasse des marchandises ;
Que d’abord, juste prix des fouilles du mineur,