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poésies diverses.

         Et des villes sur le cercueil,
Il eût cru d’un arbitre et d’un dompteur de princes,
         D’un consul, voir mener le deuil.
Comment, devant la noble et tranquille attitude
         De tant d’hommes unis sans roi,
Eût-il imaginé que cette multitude
         Eût d’autres souverains que soi !
Car notre liberté n’est pas une ivrognesse
         Qu’on ramasse au bord du chemin,
Une femme qu’un cri de mort met en liesse,
         Qui môle de sang son carmin.
C’est une auguste mère aux prodigues mamelles,
         À la voix calme, aux purs appas,
Qui, levant pour drapeau l’azur de ses prunelles,
         Conquiert le monde pas à pas ;
Enseigne à lire au peuple, innocent des mêlées
         Où l’ont entraîné les tambours !
À l’horreur de la poudre, exècre les volées
         Des cloches et des canons sourds,
Qui ne prend ses amours qu’en la plus juste race,
         Et n’accorde son chaste flanc
Qu’aux hommes francs comme elle, et qui veut qu’on l’embrasse
         Avec des bras vierges de sang.
Il se fût écrié : « Quel est ce deuil sublime ?