Au devant de la flore innombrable qui perce,
La foule, à travers champs, s’élance et se disperse.
Comme aux douceurs du jour ouvrant des yeux nouveaux,
Se culbutent les faons et les jeunes chevaux,
Se cabrant, se roulant, et par mille gambades
Adressant au soleil de fantasques ruades,
Tête au vent, pieds en l’air, affolés, enivrés
De la grasse mollesse et du bon goût des prés,
Ainsi sur les tapis que la terre déploie
Toute l’humanité danse et bondit de joie !
Jeunes et vieux, le cœur débordant, l’œil ravi,
Sur les tendres massifs se ruant à l’envi,
S’ébattent dans les fleurs, s’y terrassent l’un l’autre ;
On y plonge et replonge ; on s’y roule, on s’y vautre ;
On dirait qu’un matin Cybèle, à son réveil,
Fait danser ses enfants dans sa robe au soleil !
Que de rires éveille et de soupirs étouffe
La molle profondeur de chaque large touffe !
Que de bruyants baisers et de joyeux appels !
Que d’étreintes d’amours et d’élans fraternels !
Et voici que dans l’air, spontanément unies,
Les voix ont réveillé l’essaim des harmonies ;
Sous des milliers de mains pillant partout les fleurs,
Revit dans les bouquets le concert des couleurs ;
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la révolte des fleurs.