Page:Sully Prudhomme - Œuvres, Poésies 1872-1878.djvu/182

Cette page a été validée par deux contributeurs.
170
la révolte des fleurs.

Et toi, soleil couchant où montait de la terre
Leur adieu parfumé, tu sombras solitaire,
En déployant ta pourpre avec plus de langueur,
Comme si tu saignais d’une blessure au cœur.

Cet accident d’abord n’émut pas trop les hommes.
Il donna quelque alerte aux prudents agronomes,
Mais, quand on reconnut que cette nouveauté
N’avait aux fleurs ravi que leur vaine beauté,
Sans frustrer d’un bouton l’espoir de la récolte,
On rit de leur naïve et bénigne révolte.
Pourtant un léger trouble, un malaise de l’œil,
Glissait déjà dans l’âme un insensible deuil.
Au mois de Mai suivant, les plantes obstinées
Verdirent sans parure, et pendant trois années,
En dépit des savants qui ne comprenaient pas,
Et de maint esprit fort qui s’alarmait tout bas,
La campagne resta lugubre et monotone,
Et le morne printemps semblait un autre automne.

C’est qu’il n’est de belle saison
Que par la grâce enchanteresse
Émanant de la floraison
Et de sa subtile caresse.