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les vaines tendresses.


Les maîtres plus hardis, les âmes plus serviles,
L’atrocité sans nom des tourmentes civiles,
Et les pactes sans foi, la guerre, les blessés
Râlant cette nuit même au revers des fossés,
L’honneur, le droit trahis par la volonté molle,
Et Christ, épouvanté des fruits de sa parole,
Un diadème en tête et le glaive à la main,
Ne sachant plus s’il sauve ou perd le genre humain !
N’est-ce pas merveilleux qu’on puisse rire encore !

Mais nous sommes ainsi ; tel un vase sonore
Au moindre choc du doigt se réveille et frémit,
Tandis qu’il tremble à peine et vaguement gémit
Du tonnerre éloigné qui roule dans la nue,
Telle, au moindre soupir dont l’oreille est émue,
Nous sentons la pitié dans nos cœurs tressaillir,
Et pour les cris lointains lâchement défaillir ;
Trop pauvres pour donner des pleurs à tous les hommes,
Nous ne plaignons que ceux qui souffrent où nous sommes.

Quand nos foyers sont doux et sûrs, nous oublions
Malgré nous, près du feu, les grelottants haillons,
Et le bruit des canons, le fauve éclair des lames,
Dans les yeux des enfants et dans la voix des femmes ;