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les vaines tendresses.


Le rire


 
Les bêtes, qui n’ont point de sublimes soucis,
Marchent, dès leur naissance, en fronçant les sourcils,
Et ce rigide pli, jusqu’à la dernière heure,
Signe mystérieux de sagesse y demeure :
Les énormes lions qui rôdent à grands pas,
Libres et tout-puissants, ne se dérident pas ;
Les aigles, fils de l’air et de l’azur, sont graves ;
Et les hommes, qui vont saignant de mille entraves,
Enchaînés au plaisir, enchaînés au devoir,
Sous la loi de chercher et ne jamais savoir,
De ne rien posséder sans acheter et vendre,
De ne pouvoir se fuir ni ne pouvoir s’entendre,
D’appréhender la mort et de gratter leur champ,
Les hommes ont un rire imbécile et méchant !