Page:Sully Prudhomme - Œuvres, Poésies 1865-1866.djvu/321

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Ces hommes qui s’offraient pour le juste et l’honnête
Ont jugé que la vie est digne d’un emploi ;
Les brumes de l’Érèbe environnaient leur tête
Sans leur voiler le but, sans étonner leur foi !
Oui, leur foi ! tu souris et tu les plains, sceptique.
Leur foi, sache-le donc, c’était la dignité ;
Car telle est la grandeur de la morale antique :
S’allonger dans la tombe après avoir lutté !
Si leur philosophie est de froideur trempée,
Elle est bonne du moins pour apprendre à mourir.
Ils ne se laissaient choir qu’au-devant d’une épée ;
Ils ont même voulu ne pas daigner souffrir.
Cependant vois leurs maux : les lois mêmes hostiles,
Les guerres corps à corps, de sûreté jamais,
Les besoins, et la nuit sur les secrets utiles,
Et, pour céleste appui, des dieux qu’ils avaient faits.
Et toi, dernier venu dans le lieu de la terre
Où la sainte justice a vu son grain germer,
Où le plus grand esprit n’est jamais solitaire,
Ni le cœur le plus pur sans vierge pour aimer ;
Toi qui naissais à point dans la crise où nous sommes,
Ni trop tôt pour savoir, ni, pour chanter, trop tard,
Pouvant poser partout sur les œuvres des hommes
Ton étude et ton goût, deux abeilles de l’art ;