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ÉPAVES



Je n’oublierai jamais l’aurore de ma vie
Où dans un sombre enclos mon enfance asservie
Devinait au dehors la splendeur des étés
Et le concert tentant de leurs libres gaîtés.
Alors, comme un oiseau qui traîne sous son aile,
Résigné, le fardeau d’une flèche mortelle,
J’allais sur le vieux banc, sans murmurer, m’asseoir :
« Je pleurerai, pensais-je, avec elle ce soir. »
Muette et sans témoin, ma timide souffrance
Avait pour confidente une longue espérance :
La voir dans quinze jours ! si d’indulgents hasards
Conspiraient au festin qu’attendaient mes regards.
Enfant sauvage et pâle, effrayé par le maître,
Je veillais pour la faire en mon âme apparaître
À l’heure où les nouveaux, dans l’horreur du dortoir,
Sous leurs suaires froids couvent leur désespoir.

Sourd au précoce appel de la Muse indomptable,
Je m’appliquais penché sur cette aride table
Où le vieux Pythagore, avec un doigt d’airain,
Grava de ses calculs le monument chagrin ;