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ÉPAVES


Le premier autel fume et, fille du sillon,
La cité juste éclôt, fleur suprême d’un monde.
Alors naît du loisir l’Art, divin papillon
Qui se pose, contemple et refait la corolle ;
L’écriture corrige et sacre la parole,
Sur le Sphinx la Science a dardé son rayon.

C’est le repos des mains, salaire des mains mêmes,
Qui, livrant l’âme en proie aux éternels problèmes,
Élargit son regard, mais lui ravit la paix :
Les fronts les plus hardis sont tous revenus blêmes
Du ténébreux désert qui ne répond jamais ;
L’Infini n’est pour eux qu’un insondable abîme,
Mais pour la foi candide il s’éclaire, il s’anime
Et parle aux cœurs ouverts qui hantent les sommets.

Voilà comme a grandi dans l’humanité fruste
Le souffle conquérant du vrai, du beau, du juste,
Héroïque soupir, sublime promoteur
Qui, de la brute infime à cette race auguste,
A d’âge en âge accru la distance en hauteur ;