Page:Sue - Paula Monti, tome 1, 1845.djvu/116

Cette page a été validée par deux contributeurs.

sans gloire. Il est inutile de dire que le graveur était resté fidèle à l’utopie républicaine, dans ce qu’elle avait de généreux, de patriotique.

Probe et rude, juste et loyal, on ne pouvait reprocher à Pierre Raimond que des idées trop absolues sur les différences morales qui existaient, selon lui, entre les riches et les pauvres. S’il poussait jusqu’à l’exagération l’orgueil de la pauvreté, il faisait excuser ce travers par le plus noble désintéressement.

Ainsi, pouvant épouser la fille d’un riche éditeur de gravures, il avait refusé, parce qu’il aimait la mère de Berthe, aussi pauvre que lui.

Après trente ans de travail et d’économie, il était parvenu à amasser vingt-cinq mille francs qu’il destinait à sa fille. Un notaire banqueroutier lui vola cette somme ; il redoubla de labeur afin de donner au moins à sa fille, très jeune encore, une profession qui la mît à l’abri du besoin.

On pense avec quelle inquiétude Pierre Raimond attendait Berthe.

Enfin une voiture s’arrêta sur le quai ; il entendit dans l’escalier un pas léger, rapide et bien connu.

Quelques secondes après, Berthe embrassait son père.

— Enfin… te voilà, te voilà — répétait le vieillard d’une voix émue, en serrant sa fille dans ses bras.

— Mon bon père !… disait Berthe en pleurant.