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La gradation constante de ce sentiment n’en assurait que trop la durée.

Ainsi que toutes les choses grandes, puissantes et humainement éternelles, cet amour avait une base profonde, inébranlable. Comme le chêne que la foudre brise et ne déracine pas, cet amour avait lentement, imperceptiblement grandi… ; l’orage ou les saisons pouvaient effeuiller ses verts et frais rameaux, mais jamais l’arracher du sol où il était né.

En un mot, telle était la différence de ces deux amours : — en aimant mon mari, en me dévouant pour lui avec l’abnégation la plus aveugle, j’avais éprouvé une sorte de honte, j’avais été la plus malheureuse des femmes ; en me résignant avec courage, mes souffrances avaient à peine intéressé ; ma résignation avait semblé stupide…

Au contraire, j’étais heureuse et fière de mon amour pour M. de Rochegune ; le monde m’approuvait, je me sentais enfin élevée, grandie par ce sentiment, qu’une inflexible morale aurait pu réprouver.

Tantôt ces réflexions me semblaient toute-puissantes en faveur de M. de Rochegune, tan-