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au lieu de repousser. L’enfer me fit rencontrer Gontran de Lancry ; je me liai avec lui, je lui confiai mon amour, mes projets : je le présentai à cette jeune fille comme mon ami le plus intime. Un mois après cette présentation, j’étais évincé, supplanté auprès d’elle ; il avait révélé mon nom, calomnié mes intentions, séduit cette enfant jusque-là si pure… La malheureuse s’est suicidée en se voyant plus tard abandonnée par Lancry… Voilà ce qu’il m’a fait… votre mari… il a flétri, souillé, tué le seul véritable amour que j’eusse peut-être éprouvé de ma vie ! Il a du même coup et à jamais ulcéré mon cœur et mon orgueil en m’enlevant si dédaigneusement une conquête que j’aurais achetée au prix de ma main… c’est là ce que je ne lui pardonnerai jamais. Tenez, vous ne savez pas ce qu’il m’a fait souffrir, cet homme.

M. Lugarto me parut sortir de son ironie glaciale, en prononçant ces derniers mots avec un accent profondément ému.

— Vous avez au moins connu un sentiment généreux et pur — m’écriai-je. — Au nom de ce sentiment, de ce souvenir cruel mais sacré,