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bourgeois, si jaloux d’exercer leur imagination, ils ne sont pas très exigeants sur l’importance des faits qu’ils aiment à poétiser à leur manière. La moindre particularité leur suffit pour étayer les plus formidables histoires, dont ils vivent heureux et satisfaits pendant plusieurs mois.

Mais si la personne qu’ils épient s’opiniâtre à ne pas même leur donner le prétexte d’une fable, si elle s’environne d’un mystère impénétrable, la curiosité des oisifs, refoulée, comprimée, ne trouvant pas d’issue, s’exalte jusqu’à la frénésie ! Pour assouvir leur passion favorite, ils ne reculent alors devant aucune extrémité.

Depuis trois mois qu’il habitait le Marais, le colonel Ulrik avait réussi à exciter cette espèce de curiosité furibonde chez ses voisins, presque tous habitués du café Lebœuf, situé, ainsi que nous l’avons dit, en face de l’hôtel d’Orbesson.

Rien ne semblait plus extraordinaire que la vie du colonel : ses fenêtres étaient toujours fermées ; jamais il ne sortait de chez lui, à moins que ce ne fût mystérieusement, sans