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déprisée jusqu’à l’insulte : j’étais pieuse par conviction et par nature ; j’éprouvais le besoin impérieux de remercier Dieu de tout ce qui m’arrivait d’heureux. D’abord je poussai ce sentiment, louable pourtant, jusqu’à une puérilité blâmable, plus tard jusqu’à une gratitude impie. J’étais généreuse autant que je pouvais l’être ; mais j’avoue à ma honte que je ne me sentais jamais plus impitoyable envers les malheureux que lorsque je souffrais moi-même ; j’allais alors avec empressement au devant des douleurs d’autrui, pour tâcher de les consoler. Le bonheur, sans me rendre égoïste, m’absorbait entièrement ; il fallait provoquer ma pitié pour me faire compatir à l’affection. Tendres ou cruels, mes ressentiments étaient plus durables que violents : je pardonnais un tort, une offense, mais je ne l’oubliais pas ; non que je cherchasse jamais à nuire à qui m’avait blessée, mais je me vengeais pour moi par un mépris contenu. Vous le voyez, mon ami, il n’y avait rien de marqué, rien de bien tranché dans mon caractère.

Eh bien ! du jour où je vis M. de Lancry pour la première fois, une passion que j’avais