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sur Zerline, accablé d’injures, de récriminations, de menaces, le maître de Leporello relève audacieusement son front dédaigneux, et seul, contre tous, brave encore la foule ameutée.

Il en fut ainsi de Scipion : la tête haute, le pied ferme, l’air arrogant, la main gauche négligemment plongée dans le gousset de sa culotte de daim, sa main droite frappant machinalement ses bottes poudreuses du bout de son fouet de chasse, l’adolescent affrontait, avec une rare audace, cette rustique émeute ; le dépit, le dédain, la colère, donnaient alors à ses traits charmants, mais ordinairement efféminés, un caractère de résolution surprenante ; ses yeux brillaient vifs et hardis, ses joues se coloraient légèrement, et, sous sa petite moustache blonde et soyeuse, ses lèvres, contractées par un sourire insolent, laissaient échapper, par bouffées un peu précipitées, la fumée de son cigare.

À ce moment Raphaële qui, de plus en plus épouvantée, se pressait contre sa mère, jeta sur Scipion un long regard de douleur et de reproche ; hélas ! jamais Scipion ne lui avait paru plus beau.

Le comte Duriveau lui-même, malgré de secrètes raisons qui lui faisaient cruellement déplorer cet incident, ne put s’empêcher de ressentir une sorte d’orgueil à la vue de l’intrépide attitude de son fils. Cependant, voulant tâcher de calmer l’exaspération des paysans, et obéissant malgré lui à la toute-puissante autorité de certains sentiments de moralité que le père le plus sceptique, le plus dépravé, n’oserait méconnaître, lorsqu’il parle à son fils en face d’autres hommes, M. Duriveau dit au vicomte d’une voix haute et ferme :