Page:Sue - Martin l'enfant trouvé.djvu/481

Cette page a été validée par deux contributeurs.

soirs aussi, je n’aurai pas assez gagné pour satisfaire à la faim des miens,… et, cette nuit encore, et les autres nuits aussi,… leurs plaintes me tiendront péniblement éveillé jusqu’au matin,… que sonne l’heure du travail… Et j’épuiserai mes forces, ma vie, à tourner sans espoir dans ce cercle fatal. »

Oui, cet homme est stoïque et vénérable, car, pour quelques sous prélevés sur son salaire, il pourrait, comme tant d’autres, trouver au cabaret, pendant tout un jour,… entendez-vous. Sire, pendant tout un jour !!! l’oubli des soucis renaissants dont il est dévoré.

Et, parce que ces hommes courageux sont dignes de vénération, parce qu’ils résistent à l’entraînement d’un vice presque inévitable dans leur horrible position, parce qu’ils souffrent résignés, inoffensifs, est-il juste,… est-il prudent de les abandonner toujours à cette agonie ? parce que l’innocent a résisté à la torture, faut-il prolonger le supplice ?

Mais malheureusement tous les prolétaires ne sont pas, ne peuvent pas être doués de cette énergie stoïque…

Il en est aussi beaucoup que l’ignorance hébète, que la misère dégrade, que l’inespérance étourdit et égare ; ceux-là cèdent aux funestes enchantements de l’ivresse, où ils trouvent l’oubli de leurs maux… d’autres, enfin, plus dégradés encore, et ceux-là sont peu nombreux, il en est qui aiment l’ivresse pour l’ivresse.

Ceux-là sont blâmables… Mais ceux-là le sont doublement, qui condamnent sans pitié ces malheureux à cette ignorance, à ce dénuement, à cette in-