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de pièces blanches que notre autre Basquine, avec sa frimousse mauricaude et poitrinaire, nous a fait pleuvoir de gros sous pendant sa vie. — Mais comment l’avoir, cette petite ? — demanda la mère Major à la Levrasse. — Attends donc, j’ai dit au charron : Mon digne homme, vous et votre famille vous crevez la faim, la soif et le froid. — C’est la vérité, — m’a répondu le pataud d’un ton geigneux, — onze enfants en bas âge et une femme au lit, c’est plus qu’un homme ne peut porter, je n’ai que deux bras, et j’ai douze bouches à nourrir. — Voulez-vous n’avoir plus que onze bouches à nourrir, mon brave homme ? — Le pataud me regarda d’un air ébahi. — Oui, je me charge de l’aînée de vos filles, tenez, de cette blondinette qui nous regarde de tous ses grands yeux, je l’emmène ; vous me la laisserez jusqu’à dix-huit ans, et je lui apprendrai un bon état. — Jeannette, — s’écria le pataud les larmes aux yeux, — mon petit trésor, le quitter, je n’ai que ça de joie, jamais. — Allons, bonhomme, soyez raisonnable, ça sera une bouche de moins à remplir. — Je ne sais pas, si je vous donnerais un autre de mes enfants, ça serait à grand’peine. Pourtant… notre misère est si grande… ça serait pour son bien ; mais Jeannette ! Jeannette !! oh, jamais ! — Quant à prendre un autre, des enfants, au lieu de la blondinette, — dit la Levrasse à la mère Major, — merci du cadeau : figure-toi une couvée de petits hiboux ; je ne sais pas comment diable cette jolie petite fauvette a pu éclore dans ce vilain nid. Aussi : — non, Jeannette et pas d’autre, — dis-je au charron, — et bien mieux, mon brave, je vous donne comptant cent