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— Eh bien ! il m’apprenait la vie qu’il faut mener pour ne pas être enfoncé !

Je regardai Bamboche, je ne comprenais pas.

— Est-il bête, ce petit-là ! — dit-il avec dédain.

Puis il ajouta comme par condescendance pour ma naïveté :

— Le cul-de-jatte m’apprenait qu’il n’y a que les loups qu’on ne mange pas, et qu’il faut être loup,… que si un plus fort que vous, vous fait du mal, il faut vous revancher sur un plus faible ; — que personne ne se soucie de vous, qu’il ne faut se soucier de personne ;… qu’on peut tout faire pourvu qu’on ne se laisse pas prendre ;… que les honnêtes gens sont des serins et les riches des brigands ;… qu’il n’y a que les imbéciles qui travaillent, et qu’ils en sont récompensés en crevant de faim.

— Ton père… ne croyait pas cela, ne te disait pas cela, lui ? n’est-ce pas ?

— Mon père travaillait comme un cheval, et il est mort faute de secours, à demi mangé par les corbeaux ; je ne demandais qu’un morceau de pain et à travailler… et on m’a chassé en voulant me faire mordre par un chien, — me répondit Bamboche avec un éclat de rire amer ; — le cul-de-jatte ne faisait rien, lui, que se promener, que tromper tout le monde, et il ne manquait de rien… Nous faisions souvent des fameux soupers… avec les aumônes du jour… Tu le vois bien, le cul-de-jatte avait raison.

À mon tour, très-embarrassé de répondre à Bamboche, je me tus.