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venir l’enterrer, pour qu’il ne soit pas mangé par les corbeaux ?

Bamboche partit d’un éclat de rire sauvage et s’écria :

— On se fichait pas mal que mon père, crevé sans secours comme une bête dans les bois, ait été mangé par les corbeaux… on se moque pas mal les uns des autres, et comme me disait le cul-de-jatte, un vieux brigand de mendiant avec qui j’ai mendié, il n’y a que les loups qu’on ne mange pas ; faut être louveteau, mon gars… en attendant que tu sois loup…

— Et ton père… t’aimait bien ? — demandai-je à Bamboche, espérant le ramener à des pensées plus douces.

— Oui, — répondit-il en redevenant triste au lieu de se montrer sardonique, — oui… c’est pas lui qui m’aurait jamais battu… il ne me faisait travailler au bois que suivant mes forces, qui n’étaient pas grandes, car je n’avais guères que huit ans. S’il pleuvait, il mettait son tablier de cuir sur mon dos, ou me faisait un abri avec des bourrées ; si le samedi nous nous trouvions à court de pain, il n’avait jamais faim… lui. Le dimanche, dans les beaux temps, il me dénichait des nids dans la forêt, ou bien nous faisions la chasse aux écureuils ; s’il pleuvait, nous restions dans notre cabane et il me taillait de petites charrettes avec son couteau pour m’amuser ; d’autres fois il me chantait des complaintes. Quand je pense à ce temps-là, vois-tu… j’ai du chagrin…

— Parce que tu regrettes le temps où quelqu’un t’aimait, — m’écriai-je avec attendrissement, — tu vois