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épaules. — Mon père me dit : — Petit, cours au grand carrefour qu’on a coupé à blanc ; il y a un laboureur qui défriche à la charrue, je l’ai vu ce matin ; tu lui demanderas de l’aide… J’y cours. — Mon père vient de s’abattre à moitié la jambe, et il demande de l’aide, — dis-je au laboureur ; — le village est-il loin ? — Hélas ! mon Dieu, mon cher petit, est-ce qu’il y a des chirurgiens dans les villages ?… on y est trop pauvre… c’est bon pour les gros bourgs, et le plus proche est à quatre lieues d’ici. — Mais vous, venez au secours de mon père. — J’y connais rien aux blessures, je ne suis pas berger… moi… me répond le laboureur, — et puis, je peux pas quitter mes chevaux ; ils se mangeraient, briseraient tout, et mon maître me chasserait. — Enfin, je prie tant le laboureur qu’il vient ; mais il n’avait pas fait dix pas avec moi, que voilà ses chevaux qui commencent à se mordre… à se battre. — Tu vois bien, — me dit-il, — je ne peux pas aller avec toi. — Et il court à ses chevaux ; moi, je retourne auprès de mon père…

— Quel malheur !

— Quand je suis arrivé près de lui, il était toujours à la même place, courbé en deux, tenant à deux mains sa jambe, au milieu d’une mare de sang. En me voyant, mon père s’est redressé ; il avait le front en sueur, le visage tout blanc, les lèvres violettes. — Il n’y a de secours qu’au bourg, et c’est à quatre lieues d’ici, — lui dis-je ; — le laboureur venait ; mais ses chevaux se sont battus, il a été forcé de retourner à eux. Comment faire, mon père ? comment faire ? — Comme je fais, petit, perdre tout mon sang, — me répondit-il d’une