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— Tu ne m’en voudras pas ?

— Non, et pourtant, si tu avais voulu… nous aurions été comme deux frères.

— Mais il est donc enragé ! ce petit-là, — s’écria Bamboche, dérouté par ma résignation qui l’impressionnait malgré lui, — plus on lui fait de mal, plus il vous parle doux…

— Je te parle doux, parce que je te plains.

— Me plaindre ?… toi que j’ai roué de coups, et mordu… c’est toi qui es à plaindre.

— Tu es à plaindre aussi de refuser mon amitié…

— Tiens, va-t’en, — me dit brusquement Bamboche de plus en plus étonné de ma résignation, — va-t’en, tu es comme était ma chienne Mica.

— Et cette chienne ?…

— Je l’avais trouvée ; je prenais sur ma ration pour la nourrir… afin d’avoir quelque chose à battre quand on m’avait battu ; j’avais beau lui faire du mal… jamais elle ne se revanchait… Quand je la faisais bien souffrir… elle n’osait pas seulement crier… elle claquait des dents de douleur… et puis, après… elle venait me lécher les mains et se coucher à mes pieds…

— Et à la fin, — dis-je ému de ces paroles, — à la fin… tu l’as aimée, cette pauvre bête.

— À la fin, voyant qu’il n’y avait rien à faire avec elle, je l’ai f…ichue à l’eau avec une pierre au cou…

— Cela valait mieux que de la tourmenter…

— Et je suis plus à plaindre que celle-là aussi peut-être ? — me dit Bamboche d’un air sardonique.