Page:Sue - Martin l'enfant trouvé.djvu/446

Cette page a été validée par deux contributeurs.

— Grâce… ayez pitié de moi, — disais-je en pleurant à la mère Major.

— Grâce… grâce… ils n’ont que cela à vous chanter sur toutes les ritournelles ; on leur apprend de bonne heure à travailler, on leur donne un état gratis et on dirait qu’on les étripe, — s’écria la mère Major avec une indignation courroucée ; puis, s’adressant à moi :

— Ah ça, est-ce que tu crois qu’on va te loger, te nourrir et t’habiller pour l’amour de Dieu ? Faut que tu gagnes ta vie… et tu la gagneras, tonnerre de Dieu ! tu la gagneras, t’es bien bâti, t’es jeune, t’es mince ; tu cramperas comme un autre, et mieux qu’un autre ; avant deux mois d’ici, moi je te réponds que tu feras la promenade turque et le saut du lapin comme un bijou, sans compter que tu marcheras sur les mains la tête en bas et les pieds en l’air, comme si tu t’étais toujours promené ainsi la canne à la main depuis ta naissance…

— Ce qui économisera ta chaussure, vu que tu ne portes pas de gants, petit Martin, — ajouta sentencieusement la Levrasse.

Je ne comprenais pas ce que l’on voulait faire de moi. Il me parut seulement que l’on ne me tuerait pas, puisque l’on parlait de certains exercices auxquels je devais me livrer dans deux mois. Je me rassurai un peu : d’ailleurs la mère Major, malgré sa grosse voix, sa moustache, sa carrure énorme, sa brusquerie et son martinet, m’inspirait peut-être encore moins d’effroi que le saltimbanque, et heureusement c’était elle qui devait se charger de mon éducation.

— Allons, mon fils — dit la mère Major, — venez