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voix rauque le mot consacré : apporte !! et j’apportais mon augette remplie de mortier, que j’allais bientôt remplir de nouveau. Le soir, de retour dans notre masure, nous soupions sans échanger une parole ; enfin, je gagnais par mon travail le pain qu’il me donnait.

Aucun lien de tendresse, de gratitude ou de vénération ne pouvait donc m’arrêter, cependant, malgré tant de motifs de faillir, je résistai quelque temps à la tentation, un peu par vertu, un peu par la difficulté de dérober du vin à mon maître, et beaucoup par des craintes vagues que, malgré mon ardente curiosité, je ressentais à la seule pensée de m’élancer comme lui dans cette sphère de visions extraordinaires et de mystérieux enchantements.

Enfin, mes irrésolutions cessèrent, je surmontai mes scrupules.

Il fallait d’abord me procurer du vin, chose difficile ; mon maître ne quittait presque jamais du regard le magique tonnelet, et il avait une telle habitude de s’en ingurgiter le contenu, qu’il ne s’endormait jamais sans l’avoir mis complètement à sec. Je méditai long-temps mes moyens d’attaque. Enfin, à-peu-près sûr de réussir, j’attendis l’occasion ; elle ne tarda pas ; j’avais arrêté mon projet le jeudi, le dimanche suivant je pus le mettre à exécution.

Je me le rappellerai toujours, c’était le dernier dimanche du mois de novembre, il faisait très-froid ; une neige abondante couvrait la terre ; j’avais passé la nuit dans l’agitation de l’insomnie ; le matin, selon la coutume, la servante de l’auberge du bourg apporta dans