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— Ne m’appelez pas chien… — dis-je résolument au Beauceron, — je ne suis pas un chien.

— Toi, — reprit le Beauceron, — toi qui n’as ni père, ni mère… t’es moins qu’un chian, t’es un fils de…

Je ne pouvais comprendre l’injurieuse signification du dernier mot que prononça le Beauceron, cependant, au bondissement de mon cœur, au bouillonnement de mon sang, je pressentis la grossièreté de l’outrage ; quoique enfant, pour la première fois, je connus un sentiment de haine et de fureur aveugle ; j’allais me précipiter sur le Beauceron sans songer à sa force, lorsque le souvenir de ces mots : — T’as ni père, ni mère, — qui avaient amené l’injure dont je souffrais si cruellement, me revinrent à la pensée ; alors ma colère se changea en un brisement de cœur inexprimable, les forces me manquèrent, et je retombai sur la pierre où je m’étais assis, sanglotant ; je cachai ma figure dans mes mains.

— Allons, Martin, ne pleure pas ; que diable ? Est-ce qu’on ne peut pas rire un brin, — me dit le Beauceron, touché de mes larmes, et bonhomme au fond ; mais il plaisantait, ainsi que Catherine, comme peuvent plaisanter de pauvres créatures déshéritées de toute éducation.

— Voyons, mon amoureux, — dit Catherine en me relevant le menton, — viens à la maison, je le donnerai une écuellée de soupe aux haricots, ça séchera tes larmes.

Tout en sachant gré à Catherine de son bon sentiment, je n’acceptai pas son offre ; dix heures sonnèrent,