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Peu de temps après avoir été si cruellement repoussé par Catherine, j’eus le courage de tenter encore de me faire un ami. J’avais jeté les yeux sur un jeune ouvrier charpentier, avec lequel nous travaillions aux réparations de la maison de campagne dont j’ai parlé ; d’un caractère doux et affectueux, il m’avait quelquefois adressé la parole avec bienveillance ; un jour, embarrassé, inquiet de la manière dont je l’aborderais, j’étais tristement assis sur une pierre à l’heure du repas ; je vis arriver cet ouvrier qu’on nommait le Beauceron ; Catherine l’accompagnait ; mon morceau de pain et mon arête de hareng étaient tombés à mes pieds.

— Tu ne manges donc pas, garçon ? — me dit le Beauceron en me frappant cordialement sur l’épaule.

— S’il ne mange pas, — reprit Catherine en éclatant de rire, — c’est qu’il a du chagrin.

— Pourquoi ? — dit le Beauceron.

— Parce que l’autre jour ce gamin-là, — et Catherine se mit à rire aux éclats, — a voulu… voyez-vous ça… a voulu… être mon amoureux (les expressions de Catherine furent bien autrement expressives).

— Lui ! — s’écria le Beauceron, — en partageant l’hilarité de Catherine ; à son âge… en voilà un roquet pas mal avancé…

Je devins pourpre de honte et de douleur ; je voulus répondre, ma voix tremblante s’arrêta dans mon gosier.

— Ah ! ah ! ah ! — reprit le Beauceron, redoublant ses éclats de rire, — lui… le jeune chian… qui n’est pas tant seulement éverré.

À la honte, à la douleur, succéda un sentiment de colère en me voyant ainsi brutalement raillé.