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apôtres, habillés en sauvages (sans doute il se mêlait à cette élucubration quelques souvenirs des rites du compagnonnage), le repas me semblait délectable, mais monotone ; il se composait entièrement d’andouilles et de concombres au vinaigre.

À ces bouffonnes rêveries succédaient souvent de mélancoliques visions, qui attendrissaient mon maître jusqu’aux larmes.

Je me souviens qu’un jour il croyait voir et entendre la mère commune de tous les petits enfants voués, comme moi, à un pénible labeur dès un âge bien tendre, et que le besoin, l’épuisement, la maladie, font souvent mourir d’une mort précoce.

Cette mère attendait le retour de ses nombreux enfants avec des êtres imaginaires, avec une impatience à la fois joyeuse et inquiète, joyeuse parce qu’elle espérait les revoir bientôt, inquiète parce qu’ils tardaient à revenir…

Pour tromper son angoisse, la bonne mère préparait, de son mieux, une innombrable quantité de petits lits, mais les enfants n’arrivaient pas.

Alors la mère allait et venait de çà de là, écoutant, regardant au loin,… rien n’apparaissait,… et la nuit venait,…

Et la nuit était venue,… pauvre mère !! — disait Limousin, qui semblait assister à ces angoisses maternelles, et qui les racontait d’une voix remplie de larmes.

Enfin la mère commune entendait dans l’éloignement un bruit à la fois léger et tumultueux, qui se rapprochait de plus en plus…