Page:Sue - Martin l'enfant trouvé.djvu/405

Cette page a été validée par deux contributeurs.

frayeur, aux extravagances, aux divagations que le vin inspirait à mon maître.

Quelquefois aussi le Limousin m’obligeait à jouer des rôles secondaires dans les scènes étranges que suscitait son hallucination ; son ivresse, d’ailleurs toujours inoffensive, était tantôt d’une bizarrerie qui allait jusqu’au grotesque, tantôt d’une tristesse qui allait jusqu’aux larmes… mais jamais elle ne lui inspirait des sentiments d’amertume ou de haine. Parfois encore, il racontait tout haut, — et à bâtons rompus, — les visions merveilleuses qui le ravissaient, ou bien il s’entretenait à voix basse avec des êtres imaginaires.

L’une des illusions fréquentes et chéries de mon maître, était de se croire le seul détenteur de tous les parapluies de France (ayant sa raison il rêvait toujours la possession de l’un de ces gigantesques parapluies de cotonnade bleue et rouge, que les maçons seuls possèdent, mais il lui eût fallu se retrancher sur le vin dominical, et il ne pouvait se résoudre à ce sacrifice) ; je dois dire que, loin de songer à accaparer ces ustensiles, mon maître les distribuait généreusement à qui en manquait, exceptant toutefois de ses largesses les gens qui allaient en voiture ; inexorable sur ce point-là, il ne trouvait pas de termes assez énergiques pour flétrir l’avidité de ces égoïstes qui, sans besoin, se gorgeaient des parapluies du pauvre monde.

Dans ces comédies solitaires, je représentais la multitude à laquelle mon maître distribuait des milliers de parapluies sous la forme de son bâton de houx.

Puis l’ambition de Limousin prenant un essor plus élevé, il se voyait vêtu en tambour-major, la panache