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frayante ; puis elle diminue et devient d’autant plus rare que la condition s’améliore un peu par le bien-être, ou que l’intelligence se développe par l’instruction.

Sans doute, il est des exceptions ; ainsi, plusieurs années après avoir quitté le Limousin, je me trouvai domestique de confiance d’un grand seigneur dont je parlerai plus tard ; encore jeune, sa fortune était immense, sa femme remplie de vertus et d’attraits… et bien souvent j’ai été secrètement chercher ce grand seigneur dans les cabarets les plus infects du quartier des halles, à Paris, où il s’enivrait toute la nuit avec la plus crapuleuse compagnie ; de grand matin, je le ramenais ivre-mort, par une porte dérobée, dans l’antique et splendide hôtel dont sa noble famille était en possession depuis deux siècles, et que son père lui avait légué comme il devait le léguer à son fils, car il avait aussi un fils…

L’abus presque inévitable de la richesse acquise sans travail, par le fait de l’héritage ; l’aversion des plaisirs élevés, la satiété, le dégoût de toutes les jouissances devait amener cet opulent seigneur au même point que Limousin, le pauvre maçon, en proie à toutes les privations.

Ainsi, le riche cherchait dans une bruyante et fangeuse ivresse l’oubli de son opulence… le pauvre cherchait (en cela du moins plus digne) l’oubli de son infortune dans une solitaire ivresse.

Chaque dimanche, enfermé tout le jour avec le Limousin, au fond de notre masure déserte, j’assistais donc, à jeun et dans un étonnement stupide mêlé de