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Nous nous couchions et nous nous levions avec le jour, sans jamais brûler de lumière ; lors des grands froids, nous passions nos longues nuits d’hiver, et quelquefois aussi nos journées, lorsque le travail manquait, dans une sorte d’engourdissement glacé qui devait avoir assez de rapport avec l’anéantissement léthargique où certains animaux restent plongés durant l’hiver.

Ni veille, ni sommeil, c’était une sorte de suspension momentanée de la vie et de ses besoins ; je me rappelle être resté durant des temps de neige quelquefois un et deux jours sans manger et sans éprouver la faim : cet état n’était pas d’ailleurs absolument douloureux. Il me semblait sentir mon sang se refroidir graduellement et la moelle de mes os se figer ; à cette sensation, réellement pénible, succédait un engourdissement tolérable, tant que je restais immobile et ramassé sur moi-même ; le moindre mouvement devenait une souffrance.

Quatre ou cinq fois par mois, c’est-à-dire chaque dimanche, cette vie laborieuse, sobre, monotone, s’incidentait de la manière la plus étrange.

Limousin était un grand homme maigre, osseux, robuste, âgé de cinquante ans environ ; il avait l’air, disaient ses compagnons, de toujours rêver à quelque chose, et son caractère était d’une douceur, d’une égalité parfaite ; travailleur assidu, habile, infatigable, jamais il n’égayait son labeur par le moindre refrain ; toujours taciturne, il ne parlait que comme à regret, et, une fois rentrés le soir dans notre masure, il ne m’adressait souvent pas un mot jusqu’au lendemain.

Mais le dimanche, Limousin se transformait.

Au point du jour dominical, une servante de l’au-