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Mais, à dater de ma onzième année environ, mes souvenirs se réveillent, cette fois précis, vivants, continus et d’une incroyable fidélité quant aux personnes.

À l’âge de dix ou onze ans, je servais, selon mes forces, d’aide et de gâcheur à un ouvrier maçon appelé ou surnommé Limousin : je ne le quittais pas plus que son ombre, marchant toujours soumis et empressé derrière ses talons ; aussi, disait-on d’habitude en nous voyant passer : voilà Limousin et son chien.

Selon l’habitude du pays, je soutenais sur mes épaules, à la naissance du cou, l’augette où je gâchais le mortier que j’apportais ensuite à mon maître. Ce fardeau était si pesant pour mon âge, surtout lorsqu’il fallait atteindre au faîte des bâtiments, que, pendant long-temps, j’avais contracté l’habitude de marcher le dos voûté, la tête baissée ; ma taille même dévia quelque peu ; plus tard, il est vrai, elle fut redressée, grâce à de singuliers moyens.

En toute saison, j’allais tête et pieds nus, à peine vêtu de quelques guenilles, d’abord portées par Limousin ; je me souviens surtout de certain vieux pantalon de droguet jaunâtre, rapiécé en vingt endroits de couleurs différentes ; il m’était échu après avoir servi pendant deux campagnes à Limousin, et lui-même le tenait de cinquième ou de sixième main. Grâce à l’exiguïté de ma taille, ce pantalon, rogné aux genoux, m’avait été, pour ainsi dire, froncé autour du cou au moyen d’une forte ficelle introduite dans la ceinture, tandis que les goussets fendus donnaient passage à mes bras. Enduit, pénétré de plâtre durci que cimentait une crasse de vétusté, ce singulier accoutrement parti-