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on nous chasse d’ici… où nous sommes depuis quarante ans… Nous avons toujours travaillé tant que nous avons pu, et nous n’avons jamais fait de tort à personne ;… si nous sommes en retard de paiement, c’est pas notre faute… et si pourtant vous nous chassez, mon cher seigneur du bon Dieu, qu’est-ce que nous allons devenir, mon pauvre homme et moi, à notre âge ?…

— Hélas ! c’est bien vrai, — reprit le métayer qui, plus confus que sa femme, n’avait pas osé parler, — qu’est-ce que vous voulez que nous devenions, Monsieur le comte ?

M. Duriveau avait d’abord dédaigneusement écouté cette humble supplique ; mais, songeant soudain qu’il trouvait dans cette circonstance l’occasion de mettre, pour ainsi dire, en action son mépris pour le serment qu’il avait fait autrefois à Claude Gérard, il lui dit :

— Vous entendez, Monsieur l’homme de bien, vous entendez vos frères en humanité, comme vous dites… je suis, pardieu ! ravi de l’aventure et de pouvoir ainsi vous prouver le cas que je fais d’une promesse arrachée par la violence… et que tout homme désarmé aurait faite à ma place pour se soustraire aux griffes d’une espèce de bête féroce… Soyez bien attentif à ce qui va se passer, Monsieur Claude Gérard ; et, puisque vous prétendez n’avoir pas tiré sur moi, ce qu’il vous sera facile de prouver dès que vous serez libre… nous verrons si vous oserez exécuter la menace que vous avez eu l’excessive bonté de ne pas exécuter jusqu’ici… Je ne veux pas vous laisser manquer même de prétexte… c’est délicat à moi, n’est-ce pas ?