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peuples ressentent de vagues espérances ; j’ai dernièrement traversé l’Europe entière. Partout un travail sourd, profond, continu, mystérieux, s’accomplit… À cette heure, l’émancipation universelle est conçue par les classes déshéritées jusqu’à ce jour… maintenant nous assistons au lent et laborieux phénomène de l’enfantement. Mais cette émancipation naîtra à son jour, à son heure, mon ami, et sa radieuse apparition sera saluée par les fraternelles acclamations de tous ceux qui souffrent à cette heure.

Malgré sa sauvage résolution, le braconnier ne put cacher l’émotion que lui causait la parole de Martin, parole douce, pénétrante, convaincue, et remplie de foi dans un prochain et meilleur avenir.

— Peut-être il a raison, — murmurait le braconnier, — la violence est mauvaise conseillère…

— La vie d’un homme… si méchant qu’il soit… Cela est grave… pourtant. Et si la haine m’aveuglait… si… si malgré tant de raisons qui me semblent légitimer mon action,… c’était à la haine, à une flamme personnelle… que j’obéissais… et puis… se constituer à la fois juge et bourreau… quel que soit le crime… oh ! c’est effrayant.

Mais le braconnier, se révoltant bientôt contre ces réflexions salutaires et généreuses, s’écria tout-à-coup :

— Non ! non ! pas de lâche faiblesse !… et toi, qui me prêche la commisération, — s’écria-t-il en s’adressant à Martin avec une ironie cruelle, — du haut de ces régions de clémence et d’espoir, où tu t’égares, vois-tu ta mère… folle ?… vois-tu ta sœur… déshonorée… forcée de passer pour morte ou d’être honteuse-