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Martin, avec un accent de douleur et de commisération profonde. — non, je ne sais pas de dépravation plus précoce, plus incarnée, plus effrayante que celle de ce malheureux enfant qui joue froidement, dédaigneusement, avec les vices les plus affreux… comme un adolescent s’ennuierait de jouets au-dessous de son âge, et il a vingt ans à peine !

— Alors… veux-tu, comme moi, ramener les méchants au bien, par la terreur d’un grand exemple ?

— Par la terreur ? non ; voilà où nous différons, Claude…

— Et c’est après avoir peint, sous les plus noires couleurs, le portrait de ces deux hommes, que tu parles ainsi ! Tiens… tu n’as ni sang dans les veines, ni haine dans le cœur…

— De la haine ?… non Claude, vous m’avez, dans mon enfance, désappris la haine par l’exemple de votre angélique résignation, de votre ineffable sérénité au milieu de votre pauvreté cruelle, de vos chagrins amers et des persécutions dont vous étiez l’objet de la part d’un prêtre indigne.

— Le temps de la résignation est passé, — répondit rudement le braconnier ; — il ne s’agit pas d’ailleurs de mes ressentiments personnels ; ce n’est pas seulement mon outrage que je veux venger… mais puisque cet homme ne t’inspire ni haine, ni horreur ; qu’éprouves-tu donc, alors ?

— De la pitié… Claude.

— De la pitié ! — s’écria le braconnier avec un éclat de rire d’une ironie sauvage, — de la pitié !…

— Oui, Claude, j’éprouve cette profonde, cette dou-