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bienfaiteur, la Providence ! ainsi qu’il me l’avait solennellement juré dans un moment suprême… en face de la mort !… Cet homme, riche à millions, n’est-il pas maître absolu de ce territoire immense que son père a conquis par le dol, par l’usure, ainsi que l’on conquérait autrefois par la lance et par l’épée ? Et dans ces vastes domaines, fruit de larcins infâmes, consacrés, sanctifiés par la possession, et que transmettra l’héritage, que voit-on ? de malheureuses créatures abruties par l’ignorance, décimées par la fatigue, par la faim, par la maladie, des tenanciers écrasés sous des fermages si onéreux, que de ces champs qu’ils arrosent de leur sueur, de l’aube au couchant, la moisson est pour le comte ; à eux le travail, à eux les soucis incessants, à eux la misère, à eux la ruine… à lui calme, oisiveté, plaisirs, richesse !… et ce n’est pas assez… Un fils indigne, vivante image de ce père indigne, héritera de ses biens acquis par la fraude, et perpétuera ses vices… Et ce fils, à son tour, aura peut-être un fils qui lui ressemblera… Ainsi le quart d’une province de France, est voué à tous les maux, parce qu’elle a le malheur de vivre sous la dynastie des Duriveau, dynastie dépravée, fondée par un heureux fripon, et l’on dit la féodalité abolie… et l’on dit le servage aboli, — s’écria le braconnier avec un éclat de rire amer. — Pitié, dérision, — en s’adressant à Martin d’un air farouche et déterminé, puis il reprit, — je te le dis, moi, puisque les temps de fraternité humaine ne sont pas encore proches, il est besoin, à cette heure, d’un exemple retentissant, terrible, salutaire, qui épouvante les méchants, et fasse persévérer les cœurs généreux dans la bonne voie…