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parvenue à dissimuler la naissance de son enfant : elle qui, par un prodige de courage, venait deux fois chaque jour l’allaiter dans mon repaire situé à plus d’une lieue de la métairie ; mais, voyant, malgré ses soins, malgré les miens, l’innocente créature dépérir dans cet antre humide et sans air, la fatale idée m’est venue de porter l’enfant à Vierzon, où il existait autrefois un tour. À cette proposition, il faut renoncer, vois-tu ? à te peindre l’affreux désespoir de cette jeune mère de seize ans, ses sanglots, ses cris déchirants ; enfin le salut de son fils la décida… Je partis ; elle m’accompagna presque tout un jour, tour-à-tour allaitant son enfant, le couvrant de larmes, de baisers… Lorsqu’il fallut s’en séparer… je crus qu’elle n’en aurait jamais le courage… pourtant elle se résigna… Je n’avais pas fait vingt pas qu’elle accourait à moi. « Encore une fois, la dernière, » disait-elle, suffoquée par les sanglots, et c’étaient de nouveaux baisers, de nouvelles plaintes… Elle tombait brisée sur le chemin… Je repartais… et bientôt j’entendais des pas précipités derrière moi… c’était elle. « Encore une fois, bon Claude,… la dernière, bien sûr… oh ! la dernière ! » Et moi qui ne pleure plus, je pleurais aussi… Enfin elle m’a quitté pour revenir à la métairie, afin de ne donner aucun soupçon. J’arrivai à Vierzon… le tour était à tout jamais supprimé par économie… Vivant au milieu des bois, moi, j’ignorais cet honnête calcul.

— Par économie ? — dit Martin en regardant le braconnier comme s’il n’eût pas bien compris ses paroles.