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— Il nous a trop augmenté.

— C’était à nous de pas signer.

— C’est vrai.

— Vois-tu, M. le comte est seigneur[1], nous sommes métayers. Que nous soyons malheureux, qu’est-ce que ça peut lui faire ?…Faut croire qu’entre seigneurs ils s’entr’aident : un chacun est avec les siens et pour les siens… il n’est pas notre frère pour nous aider.

— C’est juste, — dit la métayère avec son humble et naïve résignation, — nous aurions un autre maître à la place de M. le comte, ça serait la même chose… faut pas l’accuser ; mais, hélas ! mon Dieu ! c’est bien dur pour nous… Et le pauvre père Jacques, à qui nous donnions au moins un abri et de quoi manger, qu’est-ce qu’il va aussi devenir, lui ?…

— Dam… la mère… tant que nous avons pu, nous l’avons secouru… maintenant… on nous renvoie… Pauvre vieux ! ça sera comme pour nous pour lui… à la grâce de Dieu !

— C’est pas par regret de l’avoir aidé que je dis ça…

— Je le sais bien, la mère ; ce que je regrette, moi, c’est le petit peu d’argent que je dépensais dans les bourgs… à l’auberge, les jours de foire ou de marché, en allant vendre nos denrées. Si nous l’avions maintenant, cet argent-là…

— Tu te reproches pour une bouteille et un peu de viande par ci par là, quand toute la semaine tu avais quasi jeûné et travaillé si fort ?… mon pauvre homme !

  1. Dans quelques parties de la Sologne, on dit encore seigneur.