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d’argent, pour faire vendre le tout petit peu que nous et nous renvoyer… après tant d’années.

— Dam ! oui, faut croire qu’il a besoin… Et puis, c’est son droit, et c’est dans la loi, a dit le Monsieur du roi.

— Mais hors d’ici, mon pauvre homme, comment vivre ?… T’es trop affaibli pour travailler maintenant en journalier, et moi, ce que je gagnerais à la terre… si je trouvais à travailler, ça ne ferait pas seulement le quart de notre pain.

— C’est vrai.

— Que faire ?

— Hélas ! mon Dieu !… je ne sais pas.

— Mais pourtant, — reprit la métayère avec une sorte d’impatience douloureuse, après un assez long silence, — on ne peut pas souffrir que deux pauvres vieilles gens, qui n’ont rien à se reprocher, se trouvent comme ça, tout d’un coup, sans asile et sans pain ; non, non… on ne peut pas souffrir ça.

— Qui ça, qui ne pourrait pas souffrir ça, la mère !

— Je ne sais pas, moi ; mais d’honnêtes créatures du bon Dieu ne devraient pas être abandonnés ainsi par tout le monde.

— Tous les malheureux se disent ça d’eux, la mère !

— Oui, — reprit la fermière avec une douleur amère, — vis si tu peux, meurs si tu veux, voilà notre proverbe.

— Bien sûr ; mais c’est comme ça. À qui se plaindre ? de qui se plaindre ?… de M. le comte ?… il est dans son droit… c’est pas notre faute si nous ne pouvons pas le payer, c’est pas la sienne non plus.