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comte avec amertume. — Si ridicule que vous semble ce nom, il ne sera pas, du moins, entaché d’infamie. Ah ! vous croyez qu’il ne s’agit que de se donner la peine de naître, pour abuser de toutes les jouissances de l’opulence, et être conduit par cet abus au blasement de tout, à la plus hideuse dépravation !

— Je déclare ce reproche absurde, — dit Scipion imperturbable en laissant tourbillonner la fumée de son cigare, — vous n’avez eu, comme moi, que la peine de naître pour être riche et jouir du labeur hasardeux de grand-papa Du-ris-de-veau, abominable usurier, de plus, fripon du temps du directoire… c’est tout dire.

— Vous m’effrayez bien trop pour que j’aie souci de vos insolences, — s’écria le comte. — Ah ! vous parlez de conditions ? Voici les miennes :

Vous ne reverrez jamais l’horrible femme dont vous avez prononcé le nom. Vous réparerez une séduction indigne, en épousant Mlle Wilson.

— Toujours afin que vous puissiez épouser la mère ? Vous êtes bien vertueusement orfèvre, Monsieur Josse.

— Je vous dis que vous épouserez Mlle Wilson ; vous resterez ici dans cette terre, à ma volonté, deux ou trois ans, plus peut-être, sans mettre les pieds à Paris. Ce séjour, l’affection d’une femme douée des plus rares qualités, ma sévère vigilance, suffiront pour apaiser votre fièvre chaude de perversité, qui fait, après tout, pitié, parce qu’à votre âge, ce n’est pas encore, Dieu merci ! vice incarné, mais folle exagération, déplorable monomanie,… et de cela, on guérit, on guérit bien les fous. Soyez donc tranquille, je serai votre médecin.