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est dangereuse, oui, la charité est détestable, et ce n’est pas moi qui dis cela, Messieurs… Ce sont de grands esprits dont la science, dont le génie sont admirés de l’Europe entière ; et, ce qu’ils disent, ils le prouvent par faits et par chiffres inexorables. Ces génies-là sont mes saints, à moi, leurs écrits sont mon catéchisme et mon évangile ; et comme en bon croyant je sais mon évangile par cœur, voici ce que dit textuellement Malthus… saint Malthus, un des plus admirables économistes des temps modernes. Écoutez bien, Messieurs : — Un homme qui naît dans un monde déjà occupé, si sa famille n’a pas le moyen de le nourrir, ou si la société n’a pas besoin de son travail, cet homme n’a pas le droit de réclamer une portion quelconque de nourriture ; il est réellement de trop sur la terre ; au grand banquet de la nature, il n’y a pas de place pour lui.

Au grand banquet de la nature… Eh ! eh ! eh !… ce Malthus est très-fleuri, — dit l’ancien avoué, qui se piquait de littérature, — on dirait du Fénelon.

La nature commande à cet homme de s’en aller, — reprit le comte, en poursuivant sa citation, — et elle ne tardera pas à mettre elle-même cet ordre à exécution[1]. Est-ce clair. Messieurs ? — ajouta le

  1. Lorsque Malthus prononçait ainsi l’arrêt d’extermination du genre humain, Godwin lui répondait :

    — « Non, ce n’est pas la loi de la nature, ce n’est que la loi d’un état social très-factice qui entasse sur une poignée d’individus une si énorme surabondance, et leur prodigue aveuglement les moyens de se livrer à toutes les sottes dépenses, à toutes les jouissances du luxe et de la perversité, tandis que le corps du genre humain est condamné à languir dans le besoin ou à mourir d’inanition. »