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de les placer mal… Aux champs, on est si vertueux !… J’arrive donc ici ; mon père, un maître homme…

— Oh !… — fit M. Chandavoine avec un geste de vénération profonde, en interrompant le comte. — Oh !… Un fier homme !…

— Mon père, — poursuivit le comte, — avait défendu aux paysans, sous des peines sévères, et empêché, à grand renfort de gardes inexorables, d’ébrancher le bois mort de ses bois, de glaner ses champs, de grappiller ses vignes ; ses fermiers, en retard de paiements, étaient expropriés ; quant aux quémandeurs d’aumône, ils étaient spécialement reçus par deux énormes dogues des Pyrénées.

— Eh ! eh ! eh !… — fit M. Chalumeau en ricanant ; puis il dit tout bas à son ami intime :

— Chandavoine… tu ne vois pas mon épouse ?

— Non, — fit l’autre avec impatience, — laisse-moi donc écouter M. le comte, il parle comme un avocat… quel homme !! Voilà un député qui n’aura pas sa langue dans sa poche… Il parlera bien mieux encore que M. de la Levrasse.

— J’arrive donc ici, — poursuivit le comte, — tout embâté de mes idées de philanthropie champêtre, trouvant tout d’abord que mon père a agi en homme sans entrailles, je fais enchaîner les chiens des Pyrénées, et, dans ma sainte ferveur, je me lance dans la pratique de ces belles théories, évidemment inventées par quelque gredin ne possédant ni sou, ni maille, ni maison, ni terre : — Le timide indigent ne doit jamais frapper en vain à la porte du riche. — Laissez glaner l’humble infortune dans le champ de l’opulence. —