Page:Sue - Martin l'enfant trouvé.djvu/271

Cette page a été validée par deux contributeurs.

huit heures ;… j’ai cru au malheur des veuves dénuées de tout, et forcées de mendier, le soir, en allaitant un nourrisson et traînant par la main un autre enfant ;… j’ai cru aux larmes de pauvres petites orphelines abandonnées, seules au monde, sur le pavé de Paris ;… j’ai cru aux filles séduites et délaissées sans ressources.

Puis, haussant les épaules avec un geste d’impitoyable dédain, le comte ajouta :

— Ces misères intéressantes, je les ai soulagées, Messieurs… Quel niais je faisais !… Le père de famille manquant de travail, était un infâme soûlard chassé de son atelier ; l’infortuné, privé de nourriture depuis quarante-huit heures, sortait repu du cabaret ; la veuve éplorée allaitait un nourrisson de carton, et traînait par la main un enfant volé. Les pauvres petites orphelines de douze ans se partageaient mon aumône avec des polissons de leur âge, à qui elles se prostituaient depuis long-temps, et les filles séduites et délaissées sortaient mères d’un mauvais lieu !! Quelle leçon !!

Il est impossible de rendre l’accent avec lequel le comte prononça ces paroles remplies de fiel, et qui produisirent, cela devait être, une vive impression sur son auditoire.

— M. le comte a parfaitement raison, — dit M. Chalumeau, qui des yeux cherchait çà et là, et par habitude, sa femme depuis quelques moments disparue avec Scipion, — M. le comte a parfaitement raison, on est toujours dupe de son bon cœur ;… faire du bien à ces canailles-là, c’est faire des ingrates canailles !