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n’oublie pas de mettre près de moi du curry et des piments de Cayenne.

— Oui, Monsieur le vicomte, — dit Martin.

Et il sortit.

Les convives du comte étaient généralement de ceux qui disent mon épouse et qui appellent lions et lionnes les hommes et les femmes qu’ils supposent être à la mode. Pour la plupart de ces bourgeois ignorants et égoïstes, adulateurs et vaniteux, sottement confits dans leur importance électorale, les impertinences de Scipion étaient autant de charmantes lionneries ; son dédaigneux aplomb, son insolent persiflage les extasiaient et les intimidaient à la fois ; ils ne l’appelaient jamais autrement que Monsieur le vicomte, et riaient de confiance dès qu’il parlait, ce qui l’impatientait outre mesure, car, ainsi que l’homme aux rubans verts, il ne se croyait pas si plaisant. Quant aux épouses de ces messieurs, tout en lorgnant du coin de l’œil la charmante figure de Scipion, elles le détestaient, c’est-à-dire qu’elles mouraient de dépit en se disant qu’elles n’étaient pas sans doute assez jolies, assez grandes dames, assez lionnes, pour mériter seulement quelques simples paroles de politesse de la part de ce fat, de cet impertinent, etc. ; en d’autres termes, plus d’une de ces belles courroucées devait s’en aller toute rêveuse, en songeant au pâle et joli visage de Scipion, à ses grands yeux bruns, à son sourire railleur qui montrait ses dents charmantes, et à sa petite main blanche qui, de temps à autre, frisait si indolemment sa fine moustache blonde.

Soudain les deux battants de la porte du salon s’ou-