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Cette nouvelle et terrible secousse rendit, pour un instant, si cela se peut dire, l’équilibre à son esprit,… de même qu’un monument, dérangé de sa base par une oscillation profonde, est remis momentanément en place par une oscillation contraire, jusqu’à ce qu’une dernière commotion le fasse écrouler avec fracas.

Si incomplet que fût le sens de ces mots à demi effacés, Perrine Martin comprit vite leur signification. Ainsi, un infâme, frappé de la beauté de cette infortunée, avait abusé de l’état d’insanité où elle était plongée ; Bruyère était le fruit de ce crime affreux, et elle, Perrine Martin, avait été rendue mère sans en avoir gardé la conscience et le souvenir.

À cette épouvantable révélation le cœur maternel de cette infortunée ne ressentit qu’une chose,… une joie immense,… divine ;… une fille lui était née ;… cette fille,… elle pouvait la presser sur son cœur…

Aussi s’écria-t-elle en tendant ses bras à Bruyère :

— Tout-à-l’heure je me sentais redevenir folle,… maintenant je ne crains plus rien… Viens, viens, ma fille,… tu me rends la raison…

Et elle disait vrai ; il est des situations données où une mère ne veut pas devenir folle, et ne le devient pas.

— Vous !… ma mère !… — s’écria Bruyère avec stupeur, car elle était trop naïve pour pénétrer le sens odieux des demi-mots lus par sa mère avec égarement.

— Oui, ta mère !… je suis ta mère ! — disait Mme Perrine en sanglotant, et couvrant Bruyère de