Page:Sue - Martin l'enfant trouvé.djvu/167

Cette page a été validée par deux contributeurs.

tons, le vieillard avait paru en proie à une agitation singulière.

Contre sa coutume, durant le cours de la journée, il avait impatiemment appelé Bruyère, qui, depuis plusieurs jours, lui rapportait des champs un panier de mûres sauvages dont la saveur légèrement acide rafraîchissait le palais desséché du vieillard.

— Voilà vos mûres, père Jacques, — dit Bruyère en s’agenouillant auprès de la litière, — pardonnez-moi si je vous ai fait attendre… mais de pauvres gens du Val étaient venus me demander conseil… et je leur ai enseigné ce que vous m’avez appris… Ils me remercient, ils me bénissent, — ajouta Bruyère d’une voix touchante et pénétrée. — Ah ! combien il m’en coûte de ne pouvoir leur dire : C’est le père Jacques qu’il faut remercier… qu’il faut bénir…

On eût dit que le vieillard perdant la mémoire qui lui était un instant revenue, oubliait déjà, pour quelle cause il avait durant une partie du jour si impatiemment appelé Bruyère, paraissant à peine la comprendre et la reconnaître ; il jetait sur elle un regard morne.

— Vous m’avez appelé, — lui dit tristement Bruyère, — vous voulez me parler ? père Jacques.

— Le père Jacques ne parle plus à personne, — répondit le vieillard d’un air presque égaré, après un moment de silence, — et personne ne lui parle… pourquoi parlerait-il ? Quand Sauvageon, le grand vieux bœuf noir à tête fauve, est mort de fatigue et fourbu, est-ce qu’il parlait ? est-ce qu’on lui parlait ?

À ces mots qui ne prouvaient que trop l’affaiblisse-