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demandé sans trêve ni repos… Oh ! terre ! terre sainte et bénie ! quand selon la loi du bon Dieu te couvriras-tu partout et sans peine de bois, de moissons et de fleurs ? quand verras-tu tous tes laborieux enfants vivre dans l’abondance et dans l’allégresse !!

Il est impossible de rendre l’attitude, la physionomie de Bruyère en prononçant ces paroles ; ses grands yeux vert de mer, levés vers le ciel, brillaient aussi vifs que les étoiles qui commençaient à poindre au zénith… Les dernières lueurs rosées du crépuscule jetaient de mystérieux reflets sur la ravissante figure de la jeune fille, radieuse de foi, d’espérance dans la paternelle bonté du Créateur…

La femme et son enfant, le vieillard et son fils, ainsi que l’autre métayer, écoutaient Bruyère en silence, et la contemplaient avec une admiration respectueuse. Pour ces gens simples et ignorants ce langage, quelque peu poétique, qu’ils venaient d’entendre, était une sorte d’évocation magique qui augmentait encore le prestige dont était entourée la jeune fille.

Celle-ci, après avoir cédé à un moment d’entraînement involontaire, sentit qu’il était besoin de substituer des faits à des paroles, et, après un moment de silence, s’adressant au vieillard :

— Non, non, je vous le dis, mon bon père, la terre jamais ne refuse ses dons, à moins qu’elle n’ait trop long-temps et trop donné.

— Trop donné ! — s’écria le vieillard avec amertume et colère, — trop donné ! la misérable ! Depuis dix ans, qu’est-ce donc que je lui ai demandé ? Bon an mal an,